L'édito d'Avril 2020
L’un de mes premiers souvenirs de théâtre, je dois avoir onze ou douze ans : A l’école en français on étudie les contes de Charles Perrault et plus précisément, Le petit chaperon rouge. La prof de français nous laisse un délais d’une semaine pour nous mettre en scène dans l’une des situations de cette histoire. Bizarrement à cette époque ouvrir mon cahier de texte en rentrant de l’école ne fait pas partie de mes priorités. De plus, je considère avec orgueil que je connais déjà par cœur les aventures du petit chaperon rouge : en effet si l’on additionne respectivement les différentes versions racontées par ma mère, mon père puis ma grand-mère, nous pouvons considérer que cette histoire suffisamment répétée et entendue ne nécessite plus d’être lue. Enfin, la probabilité que l’on m’interroge étant quasiment nulle, je remets à demain sans tergiverser davantage ce projet de saynète. Une semaine plus tard mes pronostics s’avèrent être résolument faux : la prof m’interroge. De toute évidence, je n’ai absolument rien préparé et à l’évidence j’agis toutefois comme si c’était le contraire. Je trompe l’ennemi, je joue à la montre :
« - Est-il possible d’installer une table sur la scène ? madame la professeure semble acquiescer dans un mouvement de tête assez frénétique quoi que sautillant. Elle me fait penser, non sans étonnement, à une balle de tennis géante continuellement en train de rebondir. Mais je suis pour l’heure en train de divaguer, j’ajoute : « Est-ce que je peux prendre quelques accessoires ? - De quels accessoires as-tu besoin ? » rétorque madame la professeure sur un ton professoral et statique quittant à jamais la figure ronde et lumineuse que je venais tout juste de lui attribuer. Je jette un regard rapide et nerveux dans la salle à la recherche d’une bonne réponse, quand tout à coup presque malgré moi, d’un ton de voix plus interrogatif qu’affirmatif je me surprends à répondre : « un manteau ! »
Ça y est je suis dans les coulisses - enfin présentement dans le couloir ! - je ne sais plus qui du courant d’air ou de ma respiration fait le plus de bruit, j’observe la classe par la porte entrebâillée. D’un coup je ne réfléchis plus, je rentre dans la peau du petit chaperon rouge. Quelques camarades commencent à glousser et les rires m’entrainent comme aujourd’hui encore à chaque fois que je suis sur scène. Je ne réfléchis plus du tout avec ma tête d’élève, je suis guidée par un plaisir étrange, c’est un peu comme si je faisais n’importe quoi et que, pour la première fois, ce n’importe quoi semblait avoir un impact positif sur les autres, comme s’il était considéré tout d’un coup comme quelque chose de sérieux et d’important.
Maintenant je suis allongée sur la table, mon manteau en guise de drap, et tandis que l’instant d’avant je feignais d’une petite voix d’être la grand-mère du petit chaperon rouge, voici qu’en me redressant j’apparais brusquement dans le rugissement d’un loup, faisant éclater toute la classe d’un même rire prolongé jusque dans les applaudissements !
Ce jour-là, dans le bruit finissant du triomphe j’ai regagné ma place avec une très bonne note. J’ai pensé que le théâtre, et la faculté de faire rire, me permettraient peut-être de me tirer pour toujours de situation bien délicate.
La sonnerie vient de retentir, j’enfile mon sac sur le dos, je remets ma mèche de cheveux en place et j’ignore encore que 15 ans plus tard j’assurerai la direction artistique d’une compagnie de théâtre…et que je terminerai cet édito en touchant frénétiquement ma mèche de cheveux… !
(Détournement d'images made in Naïs Desiles)
L'édito d'Avril 2020
L’un de mes premiers souvenirs de théâtre, je dois avoir onze ou douze ans : A l’école en français on étudie les contes de Charles Perrault et plus précisément, Le petit chaperon rouge. La prof de français nous laisse un délais d’une semaine pour nous mettre en scène dans l’une des situations de cette histoire. Bizarrement à cette époque ouvrir mon cahier de texte en rentrant de l’école ne fait pas partie de mes priorités. De plus, je considère avec orgueil que je connais déjà par cœur les aventures du petit chaperon rouge : en effet si l’on additionne respectivement les différentes versions racontées par ma mère, mon père puis ma grand-mère, nous pouvons considérer que cette histoire suffisamment répétée et entendue ne nécessite plus d’être lue. Enfin, la probabilité que l’on m’interroge étant quasiment nulle, je remets à demain sans tergiverser davantage ce projet de saynète. Une semaine plus tard mes pronostics s’avèrent être résolument faux : la prof m’interroge. De toute évidence, je n’ai absolument rien préparé et à l’évidence j’agis toutefois comme si c’était le contraire. Je trompe l’ennemi, je joue à la montre :
« - Est-il possible d’installer une table sur la scène ? madame la professeure semble acquiescer dans un mouvement de tête assez frénétique quoi que sautillant. Elle me fait penser, non sans étonnement, à une balle de tennis géante continuellement en train de rebondir. Mais je suis pour l’heure en train de divaguer, j’ajoute : « Est-ce que je peux prendre quelques accessoires ? - De quels accessoires as-tu besoin ? » rétorque madame la professeure sur un ton professoral et statique quittant à jamais la figure ronde et lumineuse que je venais tout juste de lui attribuer. Je jette un regard rapide et nerveux dans la salle à la recherche d’une bonne réponse, quand tout à coup presque malgré moi, d’un ton de voix plus interrogatif qu’affirmatif je me surprends à répondre : « un manteau ! »
Ça y est je suis dans les coulisses - enfin présentement dans le couloir ! - je ne sais plus qui du courant d’air ou de ma respiration fait le plus de bruit, j’observe la classe par la porte entrebâillée. D’un coup je ne réfléchis plus, je rentre dans la peau du petit chaperon rouge. Quelques camarades commencent à glousser et les rires m’entrainent comme aujourd’hui encore à chaque fois que je suis sur scène. Je ne réfléchis plus du tout avec ma tête d’élève, je suis guidée par un plaisir étrange, c’est un peu comme si je faisais n’importe quoi et que, pour la première fois, ce n’importe quoi semblait avoir un impact positif sur les autres, comme s’il était considéré tout d’un coup comme quelque chose de sérieux et d’important.
Maintenant je suis allongée sur la table, mon manteau en guise de drap, et tandis que l’instant d’avant je feignais d’une petite voix d’être la grand-mère du petit chaperon rouge, voici qu’en me redressant j’apparais brusquement dans le rugissement d’un loup, faisant éclater toute la classe d’un même rire prolongé jusque dans les applaudissements !
Ce jour-là, dans le bruit finissant du triomphe j’ai regagné ma place avec une très bonne note. J’ai pensé que le théâtre, et la faculté de faire rire, me permettraient peut-être de me tirer pour toujours de situation bien délicate.
La sonnerie vient de retentir, j’enfile mon sac sur le dos, je remets ma mèche de cheveux en place et j’ignore encore que 15 ans plus tard j’assurerai la direction artistique d’une compagnie de théâtre…et que je terminerai cet édito en touchant frénétiquement ma mèche de cheveux… !
(Détournement d'images made in Naïs Desiles)