L'édito de Février 2020
De même qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, on ne peut pas plaire à personne. Malgré l’évidente simplicité de cet énoncé et à force de répétitions ce qui semblait clair au départ s’est obscurci à l’arrivée. Dans ce cas-là le plus commode est d’ouvrir un nouveau paragraphe et d’aller à la ligne.
Tout au long de sa carrière théâtrale un artiste peut espérer satisfaire le public avec ses spectacles. Ayant renoncé depuis longtemps à la gloire, il peut encore compter sur le soutien indéfectible de ses amis et de ses proches et par miracle - à de rares occasions - sur celui de quelques illustres inconnus. Mais il doit aussitôt s’accommoder avec l’idée que rien n’est acquis et qu’un spectateur admiratif n’est en réalité qu’un potentiel spectateur indifférent qui s’ignore. A l’inverse il est tout à fait probable qu’un spectateur jusqu’à présent hermétique à ses propositions change radicalement d’avis sur la question. Dans certains cas, on l’a vu, il arrive qu’au sein d’une même représentation le spectateur zigzague entre adoration et détestation.
En définitive et selon la règle de droit qui veut qu’une œuvre soit validée en tant qu’œuvre seulement si elle divise son public, tout artiste normalement constitué ne cherchera pas à plaire à tout le monde mais davantage à déplaire à certains. C’est ainsi que se forment des familles de goût qui se rassurent entre elles quant à la qualité d’un spectacle ou à la nullité d’un autre :
« - Il faut admettre que machin bidule truc fait un travail formidable. Et je ne dis pas ça parce-que c’est bidule machin truc qui m’en a parlé, même si je reconnais ne pas y avoir prêté la même attention si c’était ce détestable machin chose qui me l’avait conseillé. »
En somme, cher lecteur, tout cela tient à peu de chose.
Pour donner un exemple, il y a de ça quelques années, en sortant de scène je croise un spectateur familier. Il me félicite et jure m’avoir trouvée formidable ce soir-là.
« - Pourtant, je n’étais pas dans mon assiette. J’ai été très malade toute la nuit et n’ai presque pas dormi.
- Il faut croire que tu joues mieux lorsque tu es malade. » Et le voilà qui tourne ses talons vers la porte de sortie.
« Alors quoi ! » me dis-je. Si j’avais voulu naïvement continué à subjuguer ce jeune homme aurait-il fallu que je m’arrangeasse pour être très malade la veille de chacune des représentations à venir et ce tout au long de ma carrière, persuadée d’avoir désormais trouvé le secret pour atteindre une forme de quintessence dans le jeu.
A bien réfléchir et sans avoir la présomption de me prendre pour Cyrano de Bergerac : « -Non merci ! »
L'édito de Février 2020
De même qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, on ne peut pas plaire à personne. Malgré l’évidente simplicité de cet énoncé et à force de répétitions ce qui semblait clair au départ s’est obscurci à l’arrivée. Dans ce cas-là le plus commode est d’ouvrir un nouveau paragraphe et d’aller à la ligne.
Tout au long de sa carrière théâtrale un artiste peut espérer satisfaire le public avec ses spectacles. Ayant renoncé depuis longtemps à la gloire, il peut encore compter sur le soutien indéfectible de ses amis et de ses proches et par miracle - à de rares occasions - sur celui de quelques illustres inconnus. Mais il doit aussitôt s’accommoder avec l’idée que rien n’est acquis et qu’un spectateur admiratif n’est en réalité qu’un potentiel spectateur indifférent qui s’ignore. A l’inverse il est tout à fait probable qu’un spectateur jusqu’à présent hermétique à ses propositions change radicalement d’avis sur la question. Dans certains cas, on l’a vu, il arrive qu’au sein d’une même représentation le spectateur zigzague entre adoration et détestation.
En définitive et selon la règle de droit qui veut qu’une œuvre soit validée en tant qu’œuvre seulement si elle divise son public, tout artiste normalement constitué ne cherchera pas à plaire à tout le monde mais davantage à déplaire à certains. C’est ainsi que se forment des familles de goût qui se rassurent entre elles quant à la qualité d’un spectacle ou à la nullité d’un autre :
« - Il faut admettre que machin bidule truc fait un travail formidable. Et je ne dis pas ça parce-que c’est bidule machin truc qui m’en a parlé, même si je reconnais ne pas y avoir prêté la même attention si c’était ce détestable machin chose qui me l’avait conseillé. »
En somme, cher lecteur, tout cela tient à peu de chose.
Pour donner un exemple, il y a de ça quelques années, en sortant de scène je croise un spectateur familier. Il me félicite et jure m’avoir trouvée formidable ce soir-là.
« - Pourtant, je n’étais pas dans mon assiette. J’ai été très malade toute la nuit et n’ai presque pas dormi.
- Il faut croire que tu joues mieux lorsque tu es malade. » Et le voilà qui tourne ses talons vers la porte de sortie.
« Alors quoi ! » me dis-je. Si j’avais voulu naïvement continué à subjuguer ce jeune homme aurait-il fallu que je m’arrangeasse pour être très malade la veille de chacune des représentations à venir et ce tout au long de ma carrière, persuadée d’avoir désormais trouvé le secret pour atteindre une forme de quintessence dans le jeu.
A bien réfléchir et sans avoir la présomption de me prendre pour Cyrano de Bergerac : « -Non merci ! »