Janvier 2023 — Être soi quitte à déplaire
La première fois où je suis entrée chez ma psychanalyste, j'allais avoir 30 ans, et je me demandais quel serait le sujet de mon prochain spectacle.
Quand j'étais enfant, les mères respectives de mes amis respectifs aimaient bien m'appeler « ma fille adoptive ». Cela insupportait ma mère au plus haut point et je ne comprenais pas pourquoi. Je ne voyais dans cette expression qu'une manière de leur part de me manifester leur affection et j'ignorais que cela signifiait que l'on pouvait m'adopter, comme si je n'avais pas eu de mère. Toutes ces années, sans le savoir, j'ai cherché une famille à laquelle appartenir.
Le premier ami que j'ai eu s’appelait Vincent : tu avais les oreilles décollées et tu disais que si j'avais été une vraie fille tu aurais surement été amoureux de moi. Surement, j'ai dû penser que si tu en avais été une, je t'aurais aimé aussi.
Nous sommes restés amis quelques années, le temps suffisant pour épuiser notre passion commune pour les Tom-tom & Nana. Arrivés au collège, je me souviens, tu m'as écrit une lettre pour me confier avoir des pensées suicidaires. Nos préoccupations avaient perdu la légèreté de nos vieilles BD.
Quelques mois plus tard, nous sommes partis ensemble avec le reste de notre classe en Espagne pour un voyage scolaire. Un soir, sur le chemin de l'hôtel, Louise, Estelle et moi, nous nous sommes faites agresser verbalement par un groupe de garçons. Quand il a fallu expliquer l'agression aux adultes, vous m'avez laissé faire. C'était à moi de répéter ce qui nous avait été dit la veille sans savoir le dire autrement que comme je l'avais entendu : « Ils nous ont dit suce-moi ! » J'ai immédiatement reçu une baffe, aïe, et j'ai compris qu'en le répétant comme je l'avais entendu, c'était exactement comme si c'était moi qui l'avait dit la première. Le lendemain dans le bus, j'ai croisé ton regard, et j'ai compris dans tes yeux que j'étais désormais prisonnière d'une image de moi qui n'était pas moi.
J'ai appris des années plus tard, qu'au retour de mon voyage, ma mère avait téléphoné à la tienne. Ta mère aurait alors conseillé à la mienne de m'emmener chez le psy et la mienne aurait répondu à la tienne qu'elle n'avait aucun conseil à recevoir de sa part dans la mesure où son propre fils avait lui-même des pensées suicidaires. Bam ! Je n'ai plus jamais été ton amie après ça, ni la fille adoptive de ta mère d'ailleurs. Finalement, cette lettre, avait joué un rôle majeur dans cette histoire sans que je m'en aperçoive. Pour ma mère cette lettre contenait la preuve qu'elle n'était pas une mauvaise mère. Elle s'en servait aujourd'hui comme une réponse à « ma fille adoptive ».
Quelques mois plus tard, nous sommes en cours, tu es assis derrière moi, nous nous apprêtons à regarder un film et tu me murmures à l'oreille : « On va regarder un film porno ». La prof se retourne vers moi, exactement comme si c'était moi qui venais de murmurer dans ton oreille. Ce jour-là, je n'ai même pas cherché à me défendre. Tu ne t'es pas dénoncé et tu ne t'es pas excusé non plus. Ce jour-là, j'ai seulement pensé : un jour j'aurai une voix pour me faire entendre. J'aurai les mots pour me définir moi-même, je ne me laisserai plus définir par le regard des autres.
En évoquant ce souvenir à ma psychanalyste, j'ai réalisé que pendant des années j'avais fait du théâtre parce que j'adorais jouer des rôles. J'aimais me cacher derrière eux, derrière les perruques et le maquillage. En quittant son bureau, j'ai compris que je n'avais plus du tout envie de me cacher, et qu'au contraire il faudrait se servir du théâtre pour être soi, quitte à déplaire.
Janvier 2023 — Être soi quitte à déplaire
La première fois où je suis entrée chez ma psychanalyste, j'allais avoir 30 ans, et je me demandais quel serait le sujet de mon prochain spectacle.
Quand j'étais enfant, les mères respectives de mes amis respectifs aimaient bien m'appeler « ma fille adoptive ». Cela insupportait ma mère au plus haut point et je ne comprenais pas pourquoi. Je ne voyais dans cette expression qu'une manière de leur part de me manifester leur affection et j'ignorais que cela signifiait que l'on pouvait m'adopter, comme si je n'avais pas eu de mère. Toutes ces années, sans le savoir, j'ai cherché une famille à laquelle appartenir.
Le premier ami que j'ai eu s’appelait Vincent : tu avais les oreilles décollées et tu disais que si j'avais été une vraie fille tu aurais surement été amoureux de moi. Surement, j'ai dû penser que si tu en avais été une, je t'aurais aimé aussi.
Nous sommes restés amis quelques années, le temps suffisant pour épuiser notre passion commune pour les Tom-tom & Nana. Arrivés au collège, je me souviens, tu m'as écrit une lettre pour me confier avoir des pensées suicidaires. Nos préoccupations avaient perdu la légèreté de nos vieilles BD.
Quelques mois plus tard, nous sommes partis ensemble avec le reste de notre classe en Espagne pour un voyage scolaire. Un soir, sur le chemin de l'hôtel, Louise, Estelle et moi, nous nous sommes faites agresser verbalement par un groupe de garçons. Quand il a fallu expliquer l'agression aux adultes, vous m'avez laissé faire. C'était à moi de répéter ce qui nous avait été dit la veille sans savoir le dire autrement que comme je l'avais entendu : « Ils nous ont dit suce-moi ! » J'ai immédiatement reçu une baffe, aïe, et j'ai compris qu'en le répétant comme je l'avais entendu, c'était exactement comme si c'était moi qui l'avait dit la première. Le lendemain dans le bus, j'ai croisé ton regard, et j'ai compris dans tes yeux que j'étais désormais prisonnière d'une image de moi qui n'était pas moi.
J'ai appris des années plus tard, qu'au retour de mon voyage, ma mère avait téléphoné à la tienne. Ta mère aurait alors conseillé à la mienne de m'emmener chez le psy et la mienne aurait répondu à la tienne qu'elle n'avait aucun conseil à recevoir de sa part dans la mesure où son propre fils avait lui-même des pensées suicidaires. Bam ! Je n'ai plus jamais été ton amie après ça, ni la fille adoptive de ta mère d'ailleurs. Finalement, cette lettre, avait joué un rôle majeur dans cette histoire sans que je m'en aperçoive. Pour ma mère cette lettre contenait la preuve qu'elle n'était pas une mauvaise mère. Elle s'en servait aujourd'hui comme une réponse à « ma fille adoptive ».
Quelques mois plus tard, nous sommes en cours, tu es assis derrière moi, nous nous apprêtons à regarder un film et tu me murmures à l'oreille : « On va regarder un film porno ». La prof se retourne vers moi, exactement comme si c'était moi qui venais de murmurer dans ton oreille. Ce jour-là, je n'ai même pas cherché à me défendre. Tu ne t'es pas dénoncé et tu ne t'es pas excusé non plus. Ce jour-là, j'ai seulement pensé : un jour j'aurai une voix pour me faire entendre. J'aurai les mots pour me définir moi-même, je ne me laisserai plus définir par le regard des autres.
En évoquant ce souvenir à ma psychanalyste, j'ai réalisé que pendant des années j'avais fait du théâtre parce que j'adorais jouer des rôles. J'aimais me cacher derrière eux, derrière les perruques et le maquillage. En quittant son bureau, j'ai compris que je n'avais plus du tout envie de me cacher, et qu'au contraire il faudrait se servir du théâtre pour être soi, quitte à déplaire.